Si le rêve d’une dématérialisation totale poursuit son chemin, les habitudes ont la vie dure : lorsque les salariés ne sont pas accompagnés, l’usage du papier tend à perdurer parallèlement au flux de documents dématérialisés. Un challenge donc pour les entreprises : rationaliser ces comportements, afin de tirer pleinement partie des solutions qui constitueront de plus en plus un véritable avantage concurrentiel.
Reste que le « bureau sans papier » n’est pas pour demain: certaines tâches continueront de nécessiter impression et annotations. Et le papier reste un support efficace pour une communication personnalisée. Adieu agendas, courriers, classeurs : les smartphones, emails et autres tablettes vous ont rendus inutiles.
A en croire les hérauts du « zéro papier », les papetiers devront bientôt se reconvertir dans la maintenance de serveurs informatiques. Mais la réalité est autrement plus complexe.
Si le volume de courrier échangé décroît de manière significative, les salariés n’impriment pas moins aujourd’hui qu’il y a quatre ans. Les mentalités évoluent lentement, les attentes aussi. L’idéologie du « zéro papier » n’est plus vraiment d’actualité.
Aujourd’hui, le challenge est plutôt de faire cohabiter harmonieusement les deux modes de communication, pour optimiser la réalisation de chaque tâche. Beaucoup reste à faire.
L’attachement au papier
Il faut dire que la dématérialisation des documents dans l’entreprise est encore jeune. « A partir de la fin des années 90, les technologies de reconnaissance de caractères, développées pour le traitement des chèques, ont permis d’extraire des informations à partir des images « , explique Olivier Zanon, directeur des opérations de Fedaso, une entreprise spécialisée dans le traitement externalisé de flux documentaires.
Une technique d’abord appliquée aux documents dits « structurés » : des formulaires où l’information recherchée se situe à un endroit précis sur le document.
Mais depuis quelques années, la performance accrue des ordinateurs, des logiciels et des outils, notamment les scanners, permet d’expérimenter des solutions sur les documents non structurés, comme les courriers des clients. Dans ce cas de figure, si le document est bien « matériel » au départ, il est numérisé à son arrivée dans l’entreprise, et seule sa version virtuelle circule entre les différents services.
« Les avantages par rapport au papier sont multiples : ce procédé évite d’égarer ou d’abîmer des documents lors du transfert , argumente Olivier Zanon. Surtout, cela améliore grandement la traçabilité: on sait en temps réel combien de dossier sont en cours, combien ont été traités… » De plus, le support est accessible depuis n’importe quel endroit par toutes les personnes concernées.
Une solution qui évite les photocopies et la constitution de dossiers multiples. En principe du moins… Car en pratique, le réflexe impression a la vie dure.
« Il n’est pas rare que les employés, qui disposent pourtant d’un support informatisé, fassent tout le travail sur papier et recopient ensuite les données sur l’ordinateur , reconnaît Olivier Zanon. Certains de nos clients ont même dû supprimer les imprimantes individuelles pour les obliger à s’adapter. » Le challenge est plutôt de faire cohabiter harmonieusement la communication papier et dématérialisée. Et lorsque l’on interroge les intéressés, il leur est difficile de fournir une explication rationnelle.
« L’obstacle est principalement culturel, et particulièrement prégnant en France , estime Hélène Mouiche, analyste senior au sein du cabinet d’études de marché Markess International. Dans l’esprit des gens, valider d’un clic n’a pas le même impact que la signature d’un document. Le middle management peut aussi avoir parfois le sentiment d’être court-circuité avec ces nouvelles procédures. »
Docteur en sciences de gestion, Younès Boughzala a travaillé sur la dématérialisation des appels d’offres pour les marchés publics. Depuis 2005, toutes les administrations ont l’obligation de proposer ce mode de communication, avec un objectif de 100% de dossiers dématérialisés en 2010.
« Dans la pratique, nous sommes loin du compte , regrette le chercheur. Pourtant, les avantages attendus en termes de gain de temps et d’économies sont importants. Mais l’on se heurte à des outils pas toujours ergonomiques et à un problème de confiance de la part des entreprises. » Une méfiance qui peut prendre plusieurs formes. « Il y a d’abord des facteurs individuels : les salariés craignent de se tromper, faute d’une maîtrise suffisante de l’outil. De plus, la technologie est souvent perçue comme peu fiable, avec une peur des bugs informatiques. Enfin, certains craignent une fuite des données confidentielles ou nourrissent des inquiétudes quant à la validité juridique du support numérique. » Résultat, dans ce domaine comme dans les autres, la communication électronique est souvent doublée d’un envoi de papier.
La conduite du changement
« Lorsqu’une personne travaille depuis cinq ans avec du papier, il faut un accompagnement de plusieurs mois pour l’amener à adopter le nouvel outil « , estime Olivier Zanon.
Pour Younes Boughzala, l’implication doit même se faire en amont. « Il ne suffit pas de changer de support, il faut changer l’organisation elle-même. Et impliquer les utilisateurs dans la conception de l’outil, afin qu’il soit adapté à leurs méthodes de travail.« Un enjeu organisationnel qui n’est pas à sous-estimer.
« L’impact peut être très important selon les fonctions concernées , confirme William Porret, directeur * associé du cabinet Enora Consulting, spécialisé dans la conduite de projet et le développement durable. Dans le domaine des relations avec l’administration, qu’il s’agisse de réponse aux appels d’offres ou de déclaration fiscale, le support change, mais pas réellement les processus : les mêmes personnes font peu ou prou le même travail qu’avec le papier. Dans ce contexte, l’utilisation du papier en parallèle est courante, car les gens veulent rester dans leur zone de confort. « Pour d’autres métiers, le bouleversement est plus net. « La facturation inter-entreprises est l’un des domaines les plus avancés en terme de dématérialisation, avec à la clé une automatisation des process « , précise William Porret. Un accord client-fournisseur permet de se dispenser du certificat électronique et des lourdeurs qu’il implique.
Il faut dire que le bénéfice attendu est important : non seulement tout papier est éliminé, puisque la facture est adressée directement au format électronique, mais surtout, de nombreuses étapes se font désormais sans intervention humaine. »Ce sont des projets transversaux, qui mobilisent des équipes techniques, comptables, et achats« , témoigne Jean-Cyril Schütterlé, directeur du business développement à b-Process, spécialiste de la facture électronique. L’entreprise, qui a traité 130 millions de factures en 2010, propose une plateforme à laquelle les fournisseurs se connectent pour envoyer directement à leurs clients leurs données de facturation. « La plateforme vérifie automatiquement que les informations nécessaires ont été fournies et que tout est aux normes , détaille Jean-Cyril Schütterlé. Le fournisseur peut ensuite suivre en ligne le statut de sa facture, et notamment s’assurer qu’elle a été intégrée dans le système comptable du client, éventuellement jusqu’au bon à payer. » Un gain de temps et une économie considérables par rapport à l’échange de courrier.
« Cela évite une activité de recouvrement fastidieuse et les ‘faux litiges’ dus à des erreurs. » Au-delà de la communication b-to-b, l’objectif est celui d’une synergie d’un bout à l’autre de la chaîne. « Dans le cas d’une entreprise de sécurité, par exemple, on cherchera à dématérialiser le processus complet, depuis le relevé de passage des agents et la validation par le responsable jusqu’à la facture et à son traitement.«